Traduction de William Cliff
Dédicace du traducteur à William Cliff]]>
Cliff, comme Dante, est un poète en marche.]]> Dante]]> Alighieri, Dante]]> Durante degli Alighieri]]> La Table Ronde]]> Cliff, William]]> Ouvrage imprimé]]>
par Laurent Demoulin
Le Carnet et les Instants n° 153

Par plus d'un de ses traits, Épopées, le recueil que William Cliff vient de faire paraître à la Table Ronde, s'inscrit dans le prolongement de son livre précédent (Immense existence, Gallimard, 2007), et nous pourrions reprendre, en critiquant l'un, les propos élogieux que nous avions tenus au sujet de l'autre (voir Le Carnet n° 148).

Dans les deux cas, Cliff, dont de nombreux recueils sont centrés sur une forme ou sur un thème uniques, a construit un ensemble varié de poèmes brassant ses principales obsessions thématiques et formelles, tout en laissant quelque place à une certaine nouveauté. II s'agit donc avec Épopées à la fois d'une espèce de synthèse de l'oeuvre et d'un prolongement de celle-ci, prolongement que le poète thématise lui-même de façon existentielle : le nouveau livre se présente en effet comme gagné sur la mort. Cliff, qui se réjouissait déjà en 2000 d'être toujours en vie («elle vit encor la souris»), avoue aujourd'hui : «ah! dérision! je veux encor voir la publication / d'un livre avant que de mourir comme si par un livre / on pouvait évier le pire! et c'est la solution / pourtant que le poète doit poursuivre avec génie!»

Épopées semble s'être écrit dans cette perspective, «le langage» y continuant sa démarche obstinée comme un marcheur infatigable. Or, les lecteurs de Cliff savent que la marche est l'un de ses thèmes privilégiés : le poète décrit volontiers ses voyages pédestres solitaires, dans les villes et les campagnes familières aussi bien qu'à l'autre bout du monde. La marche est d'ailleurs associée à la littérature elle-même. Non seulement parce que le locuteur se rend volontiers à pied dans des lieux éminemment littéraires (comme, ici, dans l'île de Saint-Pierre sur les traces de Rousseau), mais aussi parce qu'un lien métaphorique unit le compte des syllabes et le pas régulier du marcheur.

Grâce à cette circularité métaphorique entre forme et contenu, la poésie de Cliff jouit d'une grande homogénéité. Mais cette cohérence et cette fidélité n'empêchent pas Cliff de faire état de ses contradictions. Au cours de notre rencontre en 2006 (voir Carnet n° 143), le poète s'était opposé avec force à chacune de mes remarques quand j'avais essayé de l'interroger sur les ambiguïtés charriées par ses textes au sujet de la morale sexuelle, de la religion ou de la politique. Pourtant, dans Épopées, l'ambiguïté est presque revendiquée a contrario quand est fait le reproche à Pascal de céder «à une vision très tronquée de l'humain phénomène / lequel est plus multiple et foisonnant [...]». Les contradictions de l'humain phénomène président au poème «Un étrange voleur», portrait d'un artiste à la fois sordide et magnifique, malhonnête et fascinant. De façon plus enfouie, c'est à des sentiments ambivalents, doux-amers, que font appel nombre de poèmes. La douce nostalgie du passé, omniprésente dans le recueil, se teinte volontiers d'amertume, voire de cynisme, comme dans le douloureux texte intitulé «Carnet d'adresses» : le locuteur y élimine les noms d'amis ou d'amants d'un soir, que, de toute évidence, il ne rencontrera jamais plus. Ou encore «Ouvriers de Gembloux», très beau poème qui se souvient du passé industriel de la ville éponyme, mais qui tempère sa tendresse par des jugements sociaux pour le moins discutables : «où êtes-vous ouvriers d'autrefois / si nombreux et grisâtres dans la ville / où je suis né où j'ai grandi? parfois / je me demande si dans ma débile / mémoire votre foule sale et vile / n'est pas un rêve sans réalité? / et pourtant vous avez bien existé / ouvriers de Gembloux pleins de malice / mais aujourd'hui par toute la cité / plus une seule usine encor n'existe». Reste à savoir pourquoi ce recueil s'intitule Épopées. A priori, le mélange de versification classique désarticulée et de récits quotidiens prosaïques ne fait pas songer à de la littérature épique. Alors ne faut-il voir dans le terme «épopées» qu'un synonyme de «poésie»? Peut-être pas. Car la nouveauté relative de ce recueil par rapport au reste de l'oeuvre réside peut-être dans la présence de quelques envolées lyriques ou de vers inspirés abordant de grands thèmes. Ainsi, la fin du poème «Berlin» use de l'indicatif futur de façon, somme toute, assez épique : «je dormirai appuyant sur ton ventre / ma tête pour comprendre ton vieux corps / et peut-être au matin encor reprendre / ma marche au milieu de tes membres morts». Mais, s'il aborde des sujets très ambitieux, Cliff ne s'emballe jamais tout à fait. Le dernier poème du recueil prend parfois des accents épiques quand il chante le Créateur, mais le chant s'interrompt brutalement pour laisser place à un vers prosaïque : «je pris le bus pour rentrer à Namur».

Épopées est-il un recueil épique? C'est en tout cas un recueil très cliffien, du William Cliff de haute teneur. Un recueil cliffissime.

Laurent Demoulin
William Cliff, Epopées, Paris, La Table Ronde, 2008,169 p.

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Cliff, William]]> La Table Ronde]]> Ouvrage imprimé]]>
Suite à une lettre d’un indéterminé Baron l'invitant à Montolieu, le narrateur dit son goût des villes, son appétit de la déchéance inspiré des grands romantiques. C'est l' évocation de l'enfance, le temps de l’inclination
pour les garçons et la marginalité. Cela constitue la meilleure partie du livre avec des accents vitupérants à la Thomas Bernhard. « Ainsi de journée en journée, de défécations en mictions, de réfectoire en étude, de classes en récréations, de dortoir en chapelle, ainsi passions-nous des semaines, des mois et des années, loin de nos parents et de la vie réelle, dans des flatulences de grec et de latin, des borborygmes de mathématiques et de chimie, dans des récitations, des punitions, des gesticulations qui nous rendaient apparemment tous semblables mais qui n’empêchaient
pas que grondassent en nous des guerres inexpiables, et de puissantes attirances tout à fait inavouables. »
Hélas, la suite déçoit
comme si le narrateur, qui a accepté de mauvais grâce l'invitation à se rendre à Montolieu, en rendait le séjour monotone avec un ennui difficilement dissimulé qu’il essaie toutefois d’égayer par des échappées narratives qui ne nènent pas bien loin.
Heureusement il rentre en train à Bruxelles, détaillant les jeunes hommes
à la façon d’un dandy d'un autre siècle découvrant
l'exotisme des temps présents, où
on devine, on espère que la vie urbaine lui inspirera à nouveau de ces vers
qui nous ont charmé, choqué de même qu’ils ont revivifié l’alexandrin devenu désuet ou circonstanciel.]]>
Cliff, William]]> La Table Ronde]]> Ouvrage imprimé]]>

J'ai retrouvé ici avec bonheur l'humour, le sens de la dérision et la mélancolie qui parcourent aussi "Adieu patries", la fluidité et la vivacité de ces vers en apparence sans prétention mais qui réservent d'heureuses surprises au lecteur attentif. Et pour conclure, je préfère laisser la parole à William Cliff et à sa très villonienne "Ballade du coeur sec et nul": ]]>
Cliff, William]]> La Table Ronde]]> Ouvrage imprimé]]>

Le pain quotidien se présente comme un journal en dizaines décasyllabiques, qui se déroule de février 2003 à juillet 2005. L'auteur y relate ses humeurs à sa manière à la fois musicale et abrupte, dans un elangue d'autant plus moderne qu'elle se nourrit subtilement du fond poétique le plus universel, de Villon aux grands Rhétoriqueurs, de John Donne à Jean Genet, et qu'elle réussit à subvertir la tradition en lui restituant les pouvoirs et le rythme de la nouveauté. La forme classique - on pourrait dire médiévale - du dizain, loin d'être perçue comme une contrainte, témoigne au contraire d'une liberté d'allure tellement rare chez les poètes d'aujourd'hui qu'il est impossible de ne pas reconnapitre la voix de Cliff, impérieuse et scandée comme aucune autre.

Cliff nous parle de la couleur du ciel, de ses colères, d'une lecture, des manies de son voisin, d'une rencontre furtive, de la bêtise des foules, de tous ces événements quotidiens dont nous sommes aussi des témoins. Et il fait de nous ses confidents. Au fond, la poésie de Cliff illustre à merveille le mot de Lautréamont : "La poésie doit être faite par tous". On ajoutera : et pour tous.]]>
Cliff, William]]> La Table Ronde]]> Ouvrage imprimé]]>

Les atermoiements de la narration, cette façon de ne pas vouloir avancer mais de prendre d'incessants chemins de traverse, marquent une pudique approche des souvenirs. Dès l'amorce de son récit, Pirotte avoue son insurmontable faiblesse : " comment donner " à la scène de la rencontre avec M. Prins " tour à tour le poids du réel et l'empreinte du rêve ? Pas tour à tour, mais en même temps. " On ne revit pas deux fois une même vie. L'écrivain alors se fait peintre et nous détaille, comme s'il fermait presque les yeux, la lumière sur les paysages de Gueldre. Le roman foisonne de ces tableaux, nourris en même temps de la nostalgie et d'une érudition gourmande : " Je fais mes adieux à des coins de rues, à des ponts ignorés du côté du Jordaan, à quelques façades vétustes au bas desquelles s'appuient des vélos noirs ". Peu à peu, la prose semble se déliter avec le souvenir des filles aimées, croisées en d'autres carnets : " les souvenirs (...) s'estompent, se démembrent, se dispersent dans les replis d'un territoire dévasté. " On est touché alors de la délicatesse avec laquelle l'écrivain, le peintre, fuit son propre sujet, évoquant en des pages troubles sa mère, et cette incapacité à " s'engager dans l'existence " qui fait de lui un nomade. Dans les livres et les paysages.]]>
Pirotte, Jean-Claude]]> La Table Ronde]]> Ouvrage imprimé]]>

Depuis la prison de Looz-les-Lille où il est enfermé, Verdi remonte le fil brisé de son histoire. Et le lecteur s'égare en même temps que le personnage se pose la question de son identité. Il est né avec les pieds de travers, comme s'il voulait retourner d'où il venait. Une malformation qui fit dire à sa mère qu'elle avait mis au monde un fils des ténèbres. Et l'enfant devenu adulte de se demander: Ai-je jamais cessé d'aller à reculons?

Le roman de Jean-Claude Pirotte se fracture en trois parties. «Verdi» est la première. Sous le titre de «Macache», la deuxième renvoie l'autre côté de l'image. Elle trace le profil sombre d'un homme déchiré. Elle nomme l'absent en chacun de nous.

Ensuite, «Youssouf» porte sur tout cela un regard de côté. Il aurait croisé dans ses voyages un type s'appelant Makash, ou Müslüm, ou Verdi - les trois à la fois peut-être. L'auteur convoque ses phrases au banquet des nostalgies. Dans les vapeurs d'alcool, les vérités se dédoublent. Et la haine du jour épouse les soifs de bonheur.

L'histoire a beau être floue, les mots cognent précis. Poétique, rythmée, charriant les grandes et sourdes soifs d'humaine facture, l'écriture de Pirotte ravit toujours le chercheur de littérature claire. Cet auteur a des traits de plume qu'on n'oublie pas. Des manières magnifiques de mettre les dérives et rêves en musique. Comme quand il écrit la pluie qui sanctifie les chimères au seuil des tavernes louches.

Quelques mots agencés, et la caverne s'ouvre. Les trésors qu'elle renferme ont des reflets assassins et des odeurs d'orage. L'amour et la mort y dorment enlacés. On y croise aussi des gitans, les étoiles, le rire de Lalia, l'ombre de Sarah, et toujours des musiques à danser aux accents âpres. Entre le Nord et des ailleurs où l'on se perd - les langueurs lisboètes, la Turquie, l'Albanie,... -, Jean-Claude Pirotte enfonce le couteau de son «Boléro».

L'auteur fait une fois de plus la preuve de son talent hors normes par cette histoire qui ne se laisse pas enfermer dans un discours rond. Personne mieux que lui ne démasque l'innocence tapie au fond des bars et l'enfance qui dure au plus profond des nuits adultes.

Livre après livre, il nous offre de purs plaisirs, comme surgis des ténèbres. On retrouve en lui les poètes de minuit. Ceux qui riment quand les autres dorment. Ceux qui s'en vont voir ce qui vit derrière le jour.

PASCALE HAUBRUGE]]>
Pirotte, Jean-Claude]]> La Table Ronde]]> Ouvrage imprimé]]>
Pirotte, Jean-Claude]]> La Table Ronde]]> Ouvrage imprimé]]>