Selon mon dictionnaire, l'emporte-pièce est un outil servant à fabriquer, d'une seule pression et par découpe, des pièces de forme déterminée. L'expres­sion « à 1'emporte-pièce » signifie de ma­nière incisive, cassante ou sans nuance, d'un bloc.

Refermons le dictionnaire et constatons tout de suite l'énigme que propose Claude Haumont : de prime abord, rien, dans son recueil, n'explique clairement ce titre. Aussi, le lecteur ne me tiendra pas rigueur, je l'espère, de mes tentatives d'interpréta­tions.

Si le titre intrigue, on met toutefois du temps à s'en rendre compte. A l'inverse, il faut dire que, dès les premières lignes, le re­cueil subjugue : sont-ce des poèmes, des lettres, des dialogues, ou bien des souvenirs, des récits, des incantations ? Un peu tout cela à la fois et sans doute encore bien d'autres choses. Peu importe, il ne s'agit pas d'étiqueter mais de se laisser toucher par la vibration d'une parole. La première ligne ouvre une porte ; une porte dont nous ne savons rien sinon qu'elle donne directement sur l'écriture. La dernière ligne souhaite que les portes de l'Enfer demeurent fermées à jamais. Entre les deux, quelqu'un parle et cette parole voyage, mais pas innocemment, pas inutile­ment. Elle s'adresse à « Madame » et, tantôt l'apostrophe, tantôt la guide, l'interroge ou l'accompagne, la décrit. Madame a « choisi les gaines du quartz » quand l'auteur l'eût « aimée en cuir, en bottes et en lanières » ; Madame se laisse « fasciner par la mandragore », elle manifeste de la hâte, de l'impatience, de la folie, elle est cruelle, possède, au fond des yeux, une angoisse qu'elle ne partage ni avec ses amants ni avec ses anges. Madame hante les rêves, repasse les miroirs et devrait rester au plus profond de leur eau mais elle fait « si merveilleusement la belle ». Elle murmure à l'oreille « des contes à dormir debout » et pos­sède pour « le plus secret de sa peau », des re­changes à foison.

Qui donc est Madame ? L'amante, la mort, la vie elle-même ou la fatalité ? Une épouse de circonstance pour le poète, un reflet de soi-même à qui adresser quelques mots ? Une inquiétude ou une douceur ? Une fé­minité mythique qui aurait traversé la nuit des temps et poursuivrait son œuvre bien au-delà des mots échangés avec elle au­jourd'hui ? A nouveau, le lecteur devra se glisser dans l'univers de ces poèmes et se laisser gagner par leur énigme ou s'ingénier à trouver une réponse à ces interrogations que je laisse ouvertes.

On sait, depuis la parution de Trom, il y a bientôt vingt ans, combien l'inquiétude mé­taphysique est au centre des préoccupations et de l'écriture de Claude Haumont. J'ai usé déjà du mot « vibration » et je crois qu'il faut aborder ce recueil ainsi. Il n'y a ni question ni réponse définitives ; il n'y a que des cordes que nous puissions pincer et libre à chacun d'en apprécier la résonance. L'homme ne sait où il va mais au moins sait-il d'où il vient : la matrice n'est qu'une forme d'emporte-pièce. « Et fuis, quand même serions-nous objets rêvés, il reste l'aigrette des sens, plus étourdis­sante que [...] les élixirs et les poudres. »

Jack Keguenne]]>
Haumont, Claude]]> L'arbre à paroles]]> Ouvrage imprimé]]>