Lettres croisées 1949-1976

Titre

Lettres croisées 1949-1976

Éditeur

Date

1988

Description

Correspondance présentée et annotée par Jean-Marie Klinkenberg

Format

15 X 22 cm

Langue

fr

Support

387 p.

Identifiant

FPPB-QUE-L-0 001 851

Résumé

Queneau-Blavier

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Mis en ligne le 29/09/1988 à 00:00
Michel Grodent
Queneau-Blavier:

pour tout savoir

sur une amitié pataphysicienne

LE Botanique a célébré ces jours-ci, par deux soirées littéraires non pédagogiques, ce qui constitue l'un des événements de la rentrée culturelle: la publication des Lettres croisées que Raymond Queneau et André Blavier ont échangées durant près de trente ans. Une exposition qui rassemble des oeuvres picturales de l'auteur de Zazie et des documents photographiques est ouverte jusqu'au 13 novembre (1).

En présentant et en annotant une correspondance qui s'est révélée à la fois amicale, lucide, technique et pataphysicienne, Jean-Marie Klinkenberg se veut «fidèle à lui-même.» Raymond Queneau fait partie de ses auteurs favoris. Quant à André Blavier, il fut en quelque sorte son premier professeur de littérature: «C'est dans la revue Temps mêlés, à laquelle mon père était abonné, que j'ai appris l'art de la lecture. Blavier, je n'ai cessé de lui demander des conseils, lorsqu'il officiait au guichet de la bibliothèque de Verviers. Il me rudoyait gentiment quand j'avais le malheur d'emprunter un livre qu'il jugeait stérile. Il m'a profondément marqué.»

Jean-Marie Klinkenberg enseigne à l'université de Liège les littératures belges et québécoises ainsi que la sémiologie (la science des signes). Traducteur d'Umberto Eco (la version française du Segno paraîtra prochainement chez Labor), il appartient au groupe «mu» (2). Il nous présente son travail éditorial:

- Quand Labor m'a demandé de m'occuper de la correspondance Queneau-Blavier, je n'imaginais pas que la tâche serait aussi rude. Rapidement, je me suis rendu compte que les lettres - surtout celles de Blavier - sont semées d'allusions à toute la vie culturelle des années cinquante et soixante, au point de paraître énigmatiques ici et là. Fort heureusement j'avais André Blavier à côté de moi pour me guider dans la forêt des références ou me déshabiller un calembour trop enveloppé. J'ajoute immédiatement qu'il n'a pas su tout m'expliquer, ni tout me relire (son écriture est l'une des pires que je connaisse!). Sa mémoire lui a, mais rarement, fait défaut. Frère de Jarry, amoureux des fous littéraires, Blavier s'est forgé, au contact de Raymond Queneau, un style inimitable où le jeu de mots sert à désamorcer le lieu commun, à pulvériser le préjugé linguistique. Au début de la correspondance, Blavier fait lire à Queneau un roman qui sera publié vingt-cinq ans après, précisément au moment où se clôt la relation épistolaire: Occupe-toi d'homélie, que le bibliothécaire, de son propre aveu, placera «sous l'invocation des Enfants du limon». Ainsi la boucle est-elle bouclée. Tout se passe comme si, de manière symbolique, l'édition de ce livre était le signe tangible d'une amitié.

Vital

- C'est Blavier qui relance le dialogue quand il risque de s'essouffler. On sent que cette correspondance, c'est vital pour lui.

- Il en a besoin, c'est vrai, pour se désennuyer. Il écrit avant tout pour échapper à son environnement morose. Et c'est pourquoi, ces lettres, il les travaille, il les polit. Je n'irai pas jusqu'à dire que nous tenons là la meilleure oeuvre de Blavier. Il ne faudrait tout de même pas oublier son roman, son livre sur «les fous littéraires», son édition de la correspondance de Magritte où les notes ont une telle importance ou ses prières d'insérer de la revue Temps mêlés. Le talent de Blavier, c'est aussi dans les «seuils», pour employer l'expression de Gérard Genette, qu'on peut le rencontrer, dans tout ce qui encadre un texte.

- Concernant la vie privée, Queneau en dit beaucoup moins que Blavier.

- Cela correspond à tout ce qu'on sait d'un homme qui se livrait peu. Personnellement, ayant croisé une ou deux fois le personnage, j'estime qu'il se découvre déjà beaucoup dans la correspondance qui, de ce fait, n'en est que plus précieuse. Habituellement, quand on lui posait une question, Queneau répondait par des rires ou par d'autres questions. Il donnait toujours l'impression d'essayer d'en savoir plus sur vous que vous sur lui et de se soustraire à l'échange, non sans élégance au demeurant. On ne sortait pas de son bureau de la N.R.F. sans éprouver un fort sentiment de frustration. C'est indirectement que les lettres qu'il adresse à Blavier nous renseignent sur son caractère: sa méticulosité, par exemple. Queneau s'y montre très soucieux de la qualité matérielle de l'édition de ses oeuvres. Sur la publication à Verviers du Chien à la mandoline, on peut glaner ainsi pas mal de renseignements révélateurs dans la correspondance.

Cocardier

- Blavier entretient avec sa ville, sa province, son pays des liens qu'on pourrait qualifier d'amour-haine.

- Vis-à-vis de ses concitoyens, il adopte une attitude ambiguë. D'une part, il a un côté cocardier. Il ne manque jamais de s'intéresser à un écrivain né à Verviers - Christian Beck, par exemple - dès qu'il se sent une affinité littéraire avec lui. La première lettre à Queneau tourne autour de Tapon-Fougas, célèbre fou littéraire, cité dans Les Enfants du limon, et qui a l'avantage d'avoir visité la région verviétoise. D'autre part, Blavier n'a jamais assez de mots pour condamner les réflexes mentaux de la province, la tartufferie made in Belgium. Certains Verviétois, plus ou moins haut placés, se sont émus des activités «séditieuses» de leur bibliothécaire: leurs noms, dans la présente édition, ont été remplacés par des points de suspension.

- Douze ans après sa mort, comment voit-on Queneau chez les historiens de la littérature?

- Deux aspects de lui émergent à présent. En premier lieu, il est devenu une référence «incontournable», pour employer le jargon à la mode. Il fait figure de classique qui a joué un rôle crucial au sein des éditions Gallimard - en tant que lecteur et en tant que fondateur de «L'Encyclopédie de la Pléiade». On le fait lire en classe, avec circonspection, car l'auteur de Pierrot, mon ami n'a pas perdu sa réputation de dangereux «humoriste», assassin de l'orthographe. Ensuite, et c'est plus important, on l'étudie scientifiquement. A Limoges, et jusqu'à une date récente, à Verviers, il a été décortiqué par de jeunes universitaires français, américains, japonais ou australiens, aussi experts en «quenologie» que les tintinologues le sont d'Hergé. Cela nous vaut une foule de thèses habitées par le Gay Savoir. L'oeuvre de Queneau n'est pas au purgatoire, on peut s'en réjouir. Elle vit, elle rayonne. Sans doute parce que sa qualité majeure est de traiter sans grandiloquence les problèmes les plus graves. Humoriste, Queneau? Certainement pas! Mais ironiste, oui, sûrement! Ironiste comme l'était Socrate qui faisait accoucher les esprits en les mettant à distance d'eux-mêmes, de leur propre langage.

Recueilli par

MICHEL GRODENT.

ISBN

2-8040-0345-0

Collection de l'éditeur

Dépôt légal

D/1988/258/30

Citer ce document

Queneau, Raymond et Blavier, André, “Lettres croisées 1949-1976,” Centre Daily-Bul & C° - Archives, consulté le 18 avril 2024, http://dailybul.be/archibul/items/show/2179.

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