Epopées

Titre

Epopées

Créateur

Éditeur

Date

2008

Description

Dédicace de l'auteur à Luc Rémy

Format

14 X 21 cm

Langue

fr

Support

169 p.

Identifiant

FLRB-CLI-E-0 000 136

Résumé

Cliffissime
par Laurent Demoulin
Le Carnet et les Instants n° 153

Par plus d'un de ses traits, Épopées, le recueil que William Cliff vient de faire paraître à la Table Ronde, s'inscrit dans le prolongement de son livre précédent (Immense existence, Gallimard, 2007), et nous pourrions reprendre, en critiquant l'un, les propos élogieux que nous avions tenus au sujet de l'autre (voir Le Carnet n° 148).

Dans les deux cas, Cliff, dont de nombreux recueils sont centrés sur une forme ou sur un thème uniques, a construit un ensemble varié de poèmes brassant ses principales obsessions thématiques et formelles, tout en laissant quelque place à une certaine nouveauté. II s'agit donc avec Épopées à la fois d'une espèce de synthèse de l'oeuvre et d'un prolongement de celle-ci, prolongement que le poète thématise lui-même de façon existentielle : le nouveau livre se présente en effet comme gagné sur la mort. Cliff, qui se réjouissait déjà en 2000 d'être toujours en vie («elle vit encor la souris»), avoue aujourd'hui : «ah! dérision! je veux encor voir la publication / d'un livre avant que de mourir comme si par un livre / on pouvait évier le pire! et c'est la solution / pourtant que le poète doit poursuivre avec génie!»

Épopées semble s'être écrit dans cette perspective, «le langage» y continuant sa démarche obstinée comme un marcheur infatigable. Or, les lecteurs de Cliff savent que la marche est l'un de ses thèmes privilégiés : le poète décrit volontiers ses voyages pédestres solitaires, dans les villes et les campagnes familières aussi bien qu'à l'autre bout du monde. La marche est d'ailleurs associée à la littérature elle-même. Non seulement parce que le locuteur se rend volontiers à pied dans des lieux éminemment littéraires (comme, ici, dans l'île de Saint-Pierre sur les traces de Rousseau), mais aussi parce qu'un lien métaphorique unit le compte des syllabes et le pas régulier du marcheur.

Grâce à cette circularité métaphorique entre forme et contenu, la poésie de Cliff jouit d'une grande homogénéité. Mais cette cohérence et cette fidélité n'empêchent pas Cliff de faire état de ses contradictions. Au cours de notre rencontre en 2006 (voir Carnet n° 143), le poète s'était opposé avec force à chacune de mes remarques quand j'avais essayé de l'interroger sur les ambiguïtés charriées par ses textes au sujet de la morale sexuelle, de la religion ou de la politique. Pourtant, dans Épopées, l'ambiguïté est presque revendiquée a contrario quand est fait le reproche à Pascal de céder «à une vision très tronquée de l'humain phénomène / lequel est plus multiple et foisonnant [...]». Les contradictions de l'humain phénomène président au poème «Un étrange voleur», portrait d'un artiste à la fois sordide et magnifique, malhonnête et fascinant. De façon plus enfouie, c'est à des sentiments ambivalents, doux-amers, que font appel nombre de poèmes. La douce nostalgie du passé, omniprésente dans le recueil, se teinte volontiers d'amertume, voire de cynisme, comme dans le douloureux texte intitulé «Carnet d'adresses» : le locuteur y élimine les noms d'amis ou d'amants d'un soir, que, de toute évidence, il ne rencontrera jamais plus. Ou encore «Ouvriers de Gembloux», très beau poème qui se souvient du passé industriel de la ville éponyme, mais qui tempère sa tendresse par des jugements sociaux pour le moins discutables : «où êtes-vous ouvriers d'autrefois / si nombreux et grisâtres dans la ville / où je suis né où j'ai grandi? parfois / je me demande si dans ma débile / mémoire votre foule sale et vile / n'est pas un rêve sans réalité? / et pourtant vous avez bien existé / ouvriers de Gembloux pleins de malice / mais aujourd'hui par toute la cité / plus une seule usine encor n'existe». Reste à savoir pourquoi ce recueil s'intitule Épopées. A priori, le mélange de versification classique désarticulée et de récits quotidiens prosaïques ne fait pas songer à de la littérature épique. Alors ne faut-il voir dans le terme «épopées» qu'un synonyme de «poésie»? Peut-être pas. Car la nouveauté relative de ce recueil par rapport au reste de l'oeuvre réside peut-être dans la présence de quelques envolées lyriques ou de vers inspirés abordant de grands thèmes. Ainsi, la fin du poème «Berlin» use de l'indicatif futur de façon, somme toute, assez épique : «je dormirai appuyant sur ton ventre / ma tête pour comprendre ton vieux corps / et peut-être au matin encor reprendre / ma marche au milieu de tes membres morts». Mais, s'il aborde des sujets très ambitieux, Cliff ne s'emballe jamais tout à fait. Le dernier poème du recueil prend parfois des accents épiques quand il chante le Créateur, mais le chant s'interrompt brutalement pour laisser place à un vers prosaïque : «je pris le bus pour rentrer à Namur».

Épopées est-il un recueil épique? C'est en tout cas un recueil très cliffien, du William Cliff de haute teneur. Un recueil cliffissime.

Laurent Demoulin
William Cliff, Epopées, Paris, La Table Ronde, 2008,169 p.

ISBN

978-2-7103-3059-2

Collection de l'éditeur

Dépôt légal

juin 2008

Mots-clés

Citer ce document

Cliff, William, “Epopées,” Centre Daily-Bul & C° - Archives, consulté le 23 avril 2024, http://dailybul.be/archibul/items/show/2926.

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