Linnéaments / André Balthazar - images de Roland Breucker
Titre
Linnéaments / André Balthazar - images de Roland Breucker
Créateur
Contributeur
Date
1997
Droits
Archives Roland Breucker
Format
14 x 18 cm
Langue
fr
Type
Identifiant
FRB- - 0 000 358
Résumé
De la léguminologie considérée comme un des beaux-arts
Ce petit livre, cette merveille, n'est pas une flore (à la manière de Linné, botaniste suédois). C'est une célébration. C'est une onomastique potagère et jubilante qui égrène les noms de la betterave : « Blanche à collet vert, Tankard doré, Jaune ovoïde des Barres, Blanche de Silésie, Petite négresse de Rennes... Disette, Disette mammouth, Disette camuse... » C'est une invitation à savoir-vivre et à sa-voir-jouir, à épier les sourdines des saveurs, à capturer des papilles, du nez, des dents et du palais. C'est un livre de réminiscence des menues délices enfantines, dont celle qui consiste à déguster, sur des cubes de fromage, le sel de céleri : « saisir au bout de l'index, sur la phalangette mouillée, ces graines de puce et [...] les poser sur la pointe de la langue toute prête à fondre. » II était temps que quelqu'un prît le parti des légumes. Quelqu'un qui, comme André Balthazar, les connaît du bout des doigts et de la mémoire, jusqu'à (r)établir des correspondances inouïes entre le végétal, l'animal, le minéral et l'humain : les asperges embottillonnées comme des sardines ; l'aubergine soufflée comme une grosse panse de verre en fusion ; les tresses des aulx renvoyant à celles d'une jeune cousine. (De la sorte, on pourra se construire une botanique imaginaire : « L'artichaut appartient à la famille de l'ornithorynque et du chardon. ») Quelqu'un qui nous rappelle que les légumes ont une âme (la betterave, encore : « Ton âme est ton alambic qui te travaille de la feuille au trognon »), du sérieux et de la tendresse. Une âme, oui, et même philosophiquement stoïque : dans celle de la carotte fraîchement déterrée, alignée sur son sillon, on devine « l'acceptation du légume qui doit croire aux vertus du potage, et qui n'apprécie de l'air que d'être sorti de la terre. » Tous sens aux aguets, on s'émerveillera de découvrir dans le légume ce que sa pudeur nous dissimulait : ce qui se mange dans la feuille de l'artichaut, c'est « la courbe d'un mont de Vénus ébarbé, tendre à l'œil. » Jusqu'à ne point s'étonner que le pubis féminin soit coquinement considéré à l'instar d'une plante potagère : « Feuille de vigne sans raisins, si ce n'est l'amorce d'un grand cru. »
Il y a là de superbes bonheurs d'écriture : du cornichon grenu, Balthazar imagine que « cette virgule à peau nue doit aimer le braille. » Et le cerfeuil posé sur la peau mate dune tomate : « Comme la trace d'une patte de passereau d'eau douce, en étoile à quatre doigts, sur cette calotte de cardinal, le brin de cerfeuil et sa ponctuation définitive, indispensable. Parfois une crevette nue y ajoutait sa friandise de nymphette. » Il y a là aussi de superbes bonheurs d'image : celle de Roland Breucker, qui croit aux vertus de la longue patience, serre de près le texte et le sert ironiquement, tendrement, fantastiquement, par des collages et de minutieux dessins, ombrés, grisés, au crayon. A quand un autre livre de nos distingués léguminologues ? L'épinard, le chicon, le cresson, le potiron, le rutabaga et la patate se ratatinent et se morfondent...
Pol Charles
Ce petit livre, cette merveille, n'est pas une flore (à la manière de Linné, botaniste suédois). C'est une célébration. C'est une onomastique potagère et jubilante qui égrène les noms de la betterave : « Blanche à collet vert, Tankard doré, Jaune ovoïde des Barres, Blanche de Silésie, Petite négresse de Rennes... Disette, Disette mammouth, Disette camuse... » C'est une invitation à savoir-vivre et à sa-voir-jouir, à épier les sourdines des saveurs, à capturer des papilles, du nez, des dents et du palais. C'est un livre de réminiscence des menues délices enfantines, dont celle qui consiste à déguster, sur des cubes de fromage, le sel de céleri : « saisir au bout de l'index, sur la phalangette mouillée, ces graines de puce et [...] les poser sur la pointe de la langue toute prête à fondre. » II était temps que quelqu'un prît le parti des légumes. Quelqu'un qui, comme André Balthazar, les connaît du bout des doigts et de la mémoire, jusqu'à (r)établir des correspondances inouïes entre le végétal, l'animal, le minéral et l'humain : les asperges embottillonnées comme des sardines ; l'aubergine soufflée comme une grosse panse de verre en fusion ; les tresses des aulx renvoyant à celles d'une jeune cousine. (De la sorte, on pourra se construire une botanique imaginaire : « L'artichaut appartient à la famille de l'ornithorynque et du chardon. ») Quelqu'un qui nous rappelle que les légumes ont une âme (la betterave, encore : « Ton âme est ton alambic qui te travaille de la feuille au trognon »), du sérieux et de la tendresse. Une âme, oui, et même philosophiquement stoïque : dans celle de la carotte fraîchement déterrée, alignée sur son sillon, on devine « l'acceptation du légume qui doit croire aux vertus du potage, et qui n'apprécie de l'air que d'être sorti de la terre. » Tous sens aux aguets, on s'émerveillera de découvrir dans le légume ce que sa pudeur nous dissimulait : ce qui se mange dans la feuille de l'artichaut, c'est « la courbe d'un mont de Vénus ébarbé, tendre à l'œil. » Jusqu'à ne point s'étonner que le pubis féminin soit coquinement considéré à l'instar d'une plante potagère : « Feuille de vigne sans raisins, si ce n'est l'amorce d'un grand cru. »
Il y a là de superbes bonheurs d'écriture : du cornichon grenu, Balthazar imagine que « cette virgule à peau nue doit aimer le braille. » Et le cerfeuil posé sur la peau mate dune tomate : « Comme la trace d'une patte de passereau d'eau douce, en étoile à quatre doigts, sur cette calotte de cardinal, le brin de cerfeuil et sa ponctuation définitive, indispensable. Parfois une crevette nue y ajoutait sa friandise de nymphette. » Il y a là aussi de superbes bonheurs d'image : celle de Roland Breucker, qui croit aux vertus de la longue patience, serre de près le texte et le sert ironiquement, tendrement, fantastiquement, par des collages et de minutieux dessins, ombrés, grisés, au crayon. A quand un autre livre de nos distingués léguminologues ? L'épinard, le chicon, le cresson, le potiron, le rutabaga et la patate se ratatinent et se morfondent...
Pol Charles
Ayants droit
Damien Breucker
Série
Linnéaments
Collection
Citer ce document
Balthazar, André, “Linnéaments / André Balthazar - images de Roland Breucker,” Centre Daily-Bul & C° - Archives, consulté le 6 novembre 2024, http://dailybul.be/archibul/items/show/908.