Hémisphère Nord

Titre

Hémisphère Nord

Créateur

Date

1995

Format

14 X 21 cm.

Langue

fr

Support

398 p.

Identifiant

ROE-H-0 000 079

Couverture



Résumé

Le voyage d'hiver

Né en 1774 à Greifswald d'un père artisan savonnier et d'une mère qui meurt quand il n'a que six ans, Ulrich étudie à l'Académie de Copenhague, avant de se fixer à Dresde où il épouse tardivement, à la surprise générale, une enfant du peuple beaucoup plus jeune que lui. Chez cet artiste effacé et méticuleux en tout, qui ne signe ni ne date ses tableaux, l'introversion n'est que le revers d'une extrême émotivité : Ulrich noue avec la mort un étrange commerce et semble atteint d'une incurable mélancolie. Ainsi passe une existence sans histoire, brièvement éclairée par l'amour et l'amitié, rythmée par de grands voyages à pied qui maintiennent un contact vital avec la nature. Il meurt en 1840. Les amateurs d'art auront reconnu les prin­cipales données biographiques du peintre romantique Caspar David Friedrich dont Patrick Roegiers s'est librement servi pour habiller son personnage. Ils pourront même s'ils le souhaitent s'amuser à traquer les fidé­lités et les infidélités au modèle. Mais puisque le propos de l'auteur n'était pas d'écrire une biographie même romancée ni un roman pour initiés, ce petit jeu n'ajou­tera ni n'enlèvera rien à la lecture, sauf à souligner comment Roegiers use du privi­lège légitime du romancier en condensant, déplaçant, aménageant ou remaniant les épi­sodes les plus connus de la vie de Friedrich, de manière à accentuer le caractère de fata­lité de la destinée d'Ulrich, condamné à voir les êtres chers disparaître autour de lui. Comme pour parachever l'effacement des traces, Roegiers a d'ailleurs gommé jusqu'au nom de Friedrich, qui n'apparaît nulle part dans le livre alors qu'à peu près tout ce qui porte pinceau à l'époque y a droit de citation. Dans le même ordre d'idées, l'auteur du roman ne se confond pas avec son narra­teur. Roegiers confie non sans malice l'écri­ture de son livre à un quasi-contemporain d'Ulrich, minutieux rapporteur à l'érudition envahissante. De l'imperturbable sérieux de ce dernier naît par endroits un humour d'une qualité spéciale (il ne manque jamais d'ouvrir une parenthèse, fût-ce pour nous si­gnaler la date de la mort du chien de Schopenhauer !), qui achève de faire à'Hémi­sphère Nord un pastiche distancié de « Bildungsroman ».

Or, cette érudition devient progressivement le corps même du récit, à mesure qu’Hémi­sphère Nord avoue sa véritable ambition : être le roman du XVIIIe siècle tout entier ; dresser le tableau intellectuel, artistique et sensible du temps, mettre en scène ses grands débats (le corps et l'esprit, l'âme et le sentiment, la raison et la déraison), en montrant comment la quête encyclopé­dique des Lumières, alliée au sentiment de la nature, se confond avec celle d'un certain art de vivre ; éclairer du même mouvement l'utopie conquérante du siècle et sa face ca­chée, sa mélancolie, ce « voyage d'hiver » qui, de Gœthe à Schubert en passant par Friedrich, obsède le romantisme. Accordée à la jouissance philosophique d'inventorier le monde, la figure préférée du livre est l'énumération ou le catalogue, seuls à même d'embrasser un siècle qui se passionne pour l'optique et la géométrie, la botanique et l'anatomie, les volcans et les automates. Toutes choses que résume la maison d'Haedrich, le meilleur ami d'Ulrich, délirante folie architecturale dédiée au savoir, à la fois labyrinthe, bibliothèque préborgesienne et cabinet de curiosités.

Si l'on doit saluer l'ambition totalisante & Hémisphère Nord, on pourra être inégalement convaincu par sa réalisation. Non que la mise en œuvre ne soit pas à la hauteur du projet romanesque, mais qu'elle l'épouse trop parfaitement peut-être. Il en résulte une énonciation un peu monocorde, dépas­sionnée, rigoureusement étale jusque dans ses grands morceaux de bravoure (l'arrivée à Dresde, la séance de dissection, les guerres napoléoniennes), sans doute délibérée de la part de Roegiers mais source à la longue d'une certaine monotonie. Restent les plus beaux moments du livre, qui concernent comme il se doit les rapports d'Ulrich à son art, les discussions esthétiques avec ses amis, et surtout l'attention aux préparatifs de la peinture, envisagés comme une ascèse dé­pourvue d'affectation. Pour s'appuyer sur une observation aiguë, la peinture de pay­sage n'est pas pour Ulrich reproduction mé­canique du monde, mais élaboration inté­rieure, composition mentale et sensible où se dit l'accord de l'intériorité et du cosmos, où la vérité du sentiment assure la fidélité à la nature, non l'inverse. En affirmant que « le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu'il voit dehors, mais aussi ce qu'il voit en lui-même ; s'il ne voit rien en lui, qu'il cesse donc de peindre ce qu'il a devant lui », Caspar David Friedrich disait-il autre chose ?

Thierry Horguelin
Guide des Lettres belges
Littérature au présent

ISBN

2-02-025854-4

Collection de l'éditeur

Mots-clés

Citer ce document

Roegiers, Patrick, “Hémisphère Nord,” Centre Daily-Bul & C° - Archives, consulté le 27 décembre 2024, http://dailybul.be/archibul/items/show/1211.

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